Depuis quelques semaines, l’envie de lire pour les aveugles s’était imposée à moi. Je ne pouvais concevoir que juste le fait de ne pas pouvoir lire de ses propres yeux puisse empêcher d’accéder à toutes les merveilles littéraires qui s’offrent à nous.
Les yeux sont un fabuleux outil, mais en lisant, bien d’autres sens se mettent en marche pour décupler notre imagination.
Rappelez-vous la dernière fois qu’une phrase, entendue au détour d’une conversation, vous a entraînée dans vos souvenirs, comment toute une scène s’était alors recréée dans votre esprit. N’avez-vous jamais été troublé par le son d’une voix à l’autre bout de fil, alors que vous n’aviez jamais rencontré la personne ?
Parfois lorsque je lis, je suis submergée d’émotions, la peur, la joie, la découverte … Il fallait absolument que je partage tout cela, avec ceux, à qui il ne manquait juste qu’un intermédiaire. Je devais prêter mes yeux et donner ma voix, pour les entraîner avec moi dans mes folles aventures.
Il me fallait pour cela le plus grand calme, j’attendrais donc la rentrée. Deux mois, il me fallut deux mois pour enregistrer la plus grande partie du livre. Il ne me restait plus que quelques chapitres et aujourd’hui, il devait être fini.
Tout semblait si calme, les enfants étaient à l’école, le mari au travail, ma maison en ordre, je pouvais enfin commencer ma lecture.
Un petit café posé sur mon bureau, je pris le livre que j’avais soigneusement choisi, et m’installais à mon ordinateur, le micro-casque sur les oreilles. J’ouvris le logiciel d’enregistrement et me voilà partie pour la fin d’un fabuleux voyage.
Ma voix tremblait, je me raclais la gorge de manière artificielle. Je devais arrêter, boire une gorgée de café et reprendre l’enregistrement. Le stress, mon souffle s’accélérait, je bafouillais, je devais une nouvelle fois reprendre.
« Si vous bafouillez, ne vous arrêtez pas, marquez une pose de quelques secondes tout en continuant l’enregistrement, reprenez et vous couperez à la fin » m’avait dit mon guide, Paul, président de l’association des donneurs de voix.
La Tâche s’était révélée bien plus compliquée que je ne l’avais imaginée au départ.
« Garde ton calme ma petite Jeanne, garde ton calme, pense aux personnes qui t’écouteront, et qui seront heureuses de découvrir avec toi, ce livre qui te tient tant à cœur. » pensais-je alors pour me donner le courage de ne pas abandonner si proche de la fin.
Je me souvenais de ce que m’avait dit Paul. Chaque partie ne devait pas excéder dix minutes. J’avais déjà plus de trente morceaux. Voilà déjà plus d’une heure que j’enregistrais et je n’avais que 2 morceaux valables. Enfin, il n’était que 9h30, j’avais encore du temps. Un deuxième petit café et me revoilà plongée dans ma lecture, quand tout à coup, le téléphone se mit à sonner, « ah non c’est pas possible, je l’avais complètement oublié celui-là !! » J’avais à peine eu le temps de me précipiter pour répondre que le répondeur s’était mis en route. Par précaution, je me suis alors dit, qu’il valait mieux le décrocher. Je retournais donc à ma lecture. Mais cette fois j’entendis des « A moi, A moi » « non par ici par ici. » accompagnés de Bong !! Bong !!
« Non non non, je rêve. Qu’est-ce que c’est que ce vacarme ? » Je me levais aussitôt et me précipitais à la fenêtre.
C’était un ballon que deux petits malins avaient décidé de taper contre les murs, juste en bas de chez moi.
J’ouvris ma fenêtre et les interpellais :
« Eh vous deux !! Alors comme ça, on a décidé de jouer au ballon sous ma fenêtre, hein !
- Ouais !! On a le droit !!
- Je pense qu’il n’y a pas assez de place pour votre ballon et moi ici. Dis-je.
Ils allaient se mettre à rire mais stoppèrent net quand je sortis mon magnum 357 et BANG, d’un seul coup, j’avais atteint ma cible. J’entendais l’air s’échapper de l’objet du délit, avec plaisir. Un sourire s’esquissa sur mes lèvres. Les enfants se mirent à pleurer. Je me retirai de la fenêtre leur lançant un dernier : « Hasta la vista les bébés ! »
BONG !! BONG !! La réalité m’extirpa de mon rêve, il fallait réellement que je fasse cesser ce vacarme. J’ouvris la fenêtre et lançais un :
« C’EST PAS BIENTOT FINI !
Les deux gamins marquèrent un temps d’arrêt.
- Mais on joue. Protestèrent-t-ils tout en continuant à shooter dans leur maudit ballon.
- Allez jouer plus loin ! Dis-je cette fois sur un ton ferme.
- Maman ne…
- CHUT ! » ce dernier mot accompagné d’un regard noir, empêchant toute contestation, avait enfin suffit à leur donner envie d’aller voir plus loin.
Le silence régnait à nouveau. Quel bonheur, en quarante-cinq minutes, deux nouveaux morceaux, coupés et montés, étaient dans la boîte. Un délai tout à fait honorable.
Si seulement cela pouvait continuer comme ça.
J’entamais une nouvelle partie, et c’est alors qu’un vrombissement assourdissant me fit sursauter. C’était les engins de la ville qui venait faire l’entretien des espaces verts. Non cette fois, c’en était trop, je pris donc la décision de m’exiler vers le salon, sans doute un peu plus bruyant du fait de la circulation, mais ça ne devrait pas s’entendre.
Un bout de table, un nouveau café et me revoilà prise dans ma lecture, très surprise du calme qui régnait. Étrangement je m’étais dit que la chance était enfin de mon côté, la circulation étant bien moins dense que d’ordinaire.
Cinq minutes s’écoulèrent. Je lisais en y mettant le ton. C’est alors que certains des mots que je devais prononcer provoquèrent la réaction de mon diamant mandarin !!
« Couoin… couoin… couoin … piaillait-il gaiement.
- CHUT !! ».
L’image cartoon du volatile bâillonné et attaché à une mini chaise me traversa l’esprit l’espace d’une seconde, mais là encore, une solution plus simple et réaliste était de déplacer la cage dans la cuisine que je venais de quitter, et de fermer toutes les portes.
A partir de là, chats et chiens étaient briefés, le premier qui ouvrait la bouche serait banni à tout jamais du canapé et cette décision serait sans appel !
Comme si ils avaient compris, les trois compères se dirigèrent vers les escaliers et disparurent dans les chambres des enfants.
Enfin tranquille, pensais-je sereinement, je ne vois pas ce qui pourrait maintenant troubler ma lecture. J’avais à peine pensé ces derniers mots, que l’annonce du cirque Omar se fit entendre. Sortant d’un haut-parleur hurlant, des phrases incompréhensibles faisaient grésiller mon casque et achevaient de m’énerver. Ça ne pouvait pas être pire !!! Mais bon, dans tous les cas, elle était passée et ne reviendrait plus. C’était d’ailleurs le seul véhicule que j’avais entendu passer depuis que j’étais dans cette pièce.
Me remettre rapidement au travail, il ne me restait plus qu’une heure et quart à peine, il fallait s’activer.
« Le silence ! » Soufflais-je enfin. Un océan de sérénité envahit la pièce et cela s’avéra tout à fait vrai pendant les trente minutes qui suivirent, seulement le stress n’aidant pas, il me fallait couper plusieurs minutes, si bien que je n’arrivais à extraire qu’un malheureux morceau de neuf minutes.
Seulement cela n’entamait pas mon enthousiasme dans cet oasis de calme. Je pris le temps de me faire un ultime café, pour adoucir ma gorge qui se serrait sous le coup de l’émotion.
Je me concentrais sur mon livre, levant brièvement les yeux, pour voir Cappuccino, ma petite chatte, passer derrière mon ordinateur, sans faire de bruit. J’aimais beaucoup lorsqu’elle s’installait paisiblement près de moi pendant que je travaillais sur mon ordinateur. Cette fois, elle en avait décidé autrement et repassa de plus belle, mais devant mon ordinateur, marchant ainsi sur le clavier, ce qui eut pour effet de bloquer la machine.
Je décidais de ne pas m’énerver plus que je ne l’avais déjà fait, j’enlaçais Cappuccino, lui fit de gros câlins et allai la remettre doucement dans le panier près de l’arbre à chat.
Je retournais à ma tâche en pensant que j’arriverais peut-être à finir les chapitres que je m’étais fixés pour la matinée et pour ma journée de congés.
Une ombre me tira brusquement de ma quiétude. Je me levai prête à sermonner Cappuccino. Surprise, elle dormait toujours paisiblement dans son panier et n’avait pas bougé.
« Je deviens paranoïaque, à force d’être dérangée, mon imagination s’emballe » songeais-je tout en continuant l’enregistrement.
Ouaaa !!! M’écriais-je surprise de voir Rose, la seconde petite chatte de la famille, bondir sur la table et décrocher la prise casque de mon ordinateur. Stessy, la chienne suivait toute fière. A leur décharge, j’avais mal fermé la porte de la cuisine et forcément, les curieuses s’en étaient rapidement rendu compte. Je me dirigeai vers la cuisine, attrapai le paquet de bonbons pour chats, le secouai et aussitôt, les trois complices rappliquèrent. Chacune ayant quelques bonbons à savourer, je retournai dans le salon en prenant grand soin, cette fois, de bien fermer la porte.
Allez cette fois ce serait la bonne !
Deux minutes, seulement deux minutes, je voulais faire une pause pour me calmer. J’entonnais un air de Rhianna qui avait le don de me donner la pêche et c’est à cet instant précis que je compris que ça n’était pas mon jour. En effet, juste aujourd’hui, non pas hier ou demain, non c’est bel et bien aujourd’hui, que des gros camions, une pelleteuse et un rouleau compresseur vinrent s’installer juste là, devant les fenêtres de mon salon, dans un grondement assourdissant !
Impossible d’y échapper, le bruit résonnait dans tout l’appartement.
Comment était-ce possible ? Je n’avais vu aucun panneau annonçant ces travaux. C’en était trop. Je n’avais qu’une envie, me transformer en incroyable Miss Hulk pour envoyer valser tous ces véhicules comme des jouets dans un rire machiavélique « Wahahahaha, Wahahahaha !! ».
La sonnerie de la porte d’entrée retentit. C’est alors que je me rendis compte que je riais pour de vrai !
J’ouvris la porte. C’était mon voisin du rez-de-chaussée. Son air rieur semblait dire qu’il avait dû entendre mon délire « Hulkiesque ».
Il venait aux renseignements comme il disait si bien, «J’viens pour savoir, vous étiez au courant vous pour les travaux, ça va durer combien de temps ?
- Je n’en sais pas plus que vous. D’ailleurs si j’avais su qu’ils allaient commencer cela aujourd’hui, je n’aurais pas essayé d’enregistrer mon livre pour les donneurs de voix !
- Oui moi aussi ça me gêne, je n’arrive pas à travailler, je vais être obligé de m’installer de l’autre coté dans ma voiture.
Une petite lumière vint s’allumer juste au-dessus de ma tête ! Une voiture, j’en avais une. Je remerciai mon voisin et lui fermai presque la porte au nez trop pressée de prendre mon ordinateur portable, mon micro casque et de filer dans ma voiture pour finir cette ultime chapitre.
Me voilà dans mon sanctuaire, ma petite voiture douillette. Je m’installai sur la banquette arrière, mon ordinateur sur les genoux, mon casque sur les oreilles. Zut ! J’avais oublié mon livre. Vite je remontai quatre à quatre et j’ouvris la porte, me précipitai dans le salon, attrapai le livre et me revoilà dans la voiture. Plus rien, non plus rien ne viendrait troubler mon silence. Par bonheur, en trois quart d ‘heure, j’avais terminé, trois morceaux bouclés et voilà ! L’émotion m’envahit et des larmes de joie, oui, mais de soulagement aussi roulèrent sur mes joues.
Quand mon mari et mes enfants me virent descendre de la voiture avec mon matériel, ils me demandèrent ce qui s’était passé, je leur expliquai la matinée exécrable que je venais de passer. Ils me prirent dans leurs bras et nous remontâmes ensemble pour déjeuner.
Comme j’avais passé tout mon temps à lire, je n’avais pas pris le temps de regarder mes e-mails. Et puis, j’étais également très impatiente de dire à Paul que j’avais terminé d’enregistrer mon premier livre. Tiens, justement un mail de Paul, il venait très certainement aux nouvelles.
J’ouvris ce mail en premier, m’apprêtant à utiliser la fonction répondre, pour envoyer ma bonne nouvelle. Mais le message n’était pas tout à fait celui que j’attendais.
Lorsque je lui avais dit que mon choix s’était porté sur un polar, son premier réflexe avait été de me dire qu’il fallait absolument que je regarde dans la liste des livres déjà enregistrés, ce que je fis immédiatement et nulle trace de mon titre. Seulement voilà, une autre personne avait eu la même idée, et venait d’envoyer son œuvre !! Paul m’informait donc que pour la prochaine fois, je devais ajouter « Dans la peau de Nicci French » à la collection de titres déjà enregistrés. Et oui, j’avais oublié de donner le titre à Paul.
Je m’affalai sur ma chaise en lançant juste :
« Y’a des jours comme ça ! »
Mon cher et tendre me voyant ainsi abattue et frustrée me prit dans ses bras et s’inquiéta
- Ça va ma chérie ? Tu n’as pas l’air bien ?
- CHUT ! Ne dis plus rien serre-moi fort ! »