L’idée d’un couloir qui nous conduit vers un ultime rendez-vous. Derrière nous, les éléments s’estompent pour disparaître de notre conscience. Devant, c’est l’inconnu ! Elle ne pouvait pas deviner qu’elle ne rentrerait jamais. Dans cette robe magnifique, Lily ressemblait à un ange.
Il savait ce qu’il faisait. Soudain tout devint noir. Il la laissa couler, ses cheveux s’étalèrent à la surface. Non, elle ne serait pas là pour la petite fête ce soir.
« Lily, lève-toi, tu vas être en retard !!
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Encore 5 minutes s’il te plait Ric.
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Allez grosse flémarde, tu pourras faire la sieste cette après-midi Toi !
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Non, je n’aurai certainement pas le temps, répondit Lily en se levant malgré elle, je dois passer chercher ma tenue, repasser ta veste et aller chez le coiffeur ! Et ensuite…
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Tu vas encore faire le tour des blogs de tes amies virtuelles ! Coupa Richard, vous allez parler de moi, le plus beau mec du coin.
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Tu crois ça hein !! J’ai trop hâte d’être à ce soir, ça va être génial.
Richard s’impatientait dans le couloir.
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On va finir par être en retard !
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J’avale mon café, et j’arrive.
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Tu me reprends à midi et on mange dans le parc, c’est ça ?
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Oui je nous ai préparé des bentos fabuleux.
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Je n’en doute pas ! »
Lily déposa Richard devant son bureau et roula à vive allure vers son lycée. Ses élèves l’attendaient devant la salle. Il faisait beau : aucun cours l’après-midi, un déjeuner sur l’herbe… La journée allait être magnifique. La sonnerie de la récré retentit. Lily comptait les minutes en se dirigeant vers la salle des professeurs.
« Pfiou, ils sont énervés aujourd’hui, il fait trop beau pour les faire travailler ! Soupira Miss Vernalde, professeur d’anglais. Lily tu es encore arrivée en retard ce matin !
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Mais pas du tout, j’étais pile à l’heure.
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Normalement, quand la sonnerie retentit, on doit être dans le bâtiment et non pas descendre de sa voiture.
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Mais oui, mais oui, déclara Nina, sur un ton ironique. Lily, tu viens prendre l’air ? Dit-elle avec un clin d’œil, avant de hurler, et on rentrera avant la sonnerie de fin de récréation Miss Vernalde !
Les deux jeunes femmes se dirigèrent vers la cour.
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Alors toi et le beau Paul, ça se passe comment ?
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Qu’est-ce que tu veux dire ?
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Rho allez Lily, arrête, il te tourne autour depuis le début de son remplacement ici. D’ailleurs il brille par son absence aujourd’hui, ce n’est pas son genre.
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On est juste ami, je suis mariée et fière de l’être, je lui ai bien fait comprendre !
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Et ben tu devrais le graver sur ton front parce qu’il n’a pas l’air convaincu. Il t’a demandée en amie sur Facebook et pas moi. Sinon est-ce que tu as des nouvelles de Cali ? On ne la voit plus sur son blog, et j’ai cru comprendre qu’elle avait disparu.
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Non, mais tu sais je ne suis pas non plus tout le temps sur mon blog, j’ai une vraie vie. Et Facebook non plus ce n’est pas la vraie vie !
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Je t’assure ce n’est pas rassurant, je pense que la fille du journal tu sais, Céline, disparue depuis hier, je pense que c’est elle. C’est flippant, non ?
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Tu regardes trop la télé, allez ça va sonner.
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Ah c’est vrai, aujourd’hui rien ne va venir assombrir TA journée. Je me suis achetée une robe trop sexy, j’espère qu’il y aura des célibataires à ta fête
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Tu es incorrigible toi.»
Nina et Lily retrouvèrent leurs classes. La matinée se déroula comme prévu. A 12 heures, Lily rejoignit Richard pour pique-niquer à deux pas de l’école.
« Alors ta matinée s’est bien passée ? En tout cas la mienne extra sauf que je suis arrivée trop limite, alors j’ai encore eu une réflexion de miss Vernalde, elle m’énerve.
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Je te l’avais dit ! Moi je suis fatigué, déclara Richard en baillant, et quand vas-tu arrêter d’écrire ta vie, et la mienne par conséquent, sur le net ?
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Pourquoi tu dis ça ?
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Et ben la moitié des collègues m’a souhaité un bon pique-nique et ils savaient même ce qu’on allait manger!!
Lily éclata de rire.
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Ah ça, et bien, ça n’a rien de personnel, c’est plutôt amusant et ça peut donner de bonnes idées de bentos. Tu ne vas pas m’en vouloir pour ça, je ne suis pas allée me vanter de la nuit torride qu’on avait passée, répondit Lily avec un petit clin d’œil malicieux.
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Non mais tu sais que je n’aime pas ça, n’importe qui peut lire tout ça. Tu sais qu’une de tes « amies » Facebook est portée disparue.
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Oh tu ne vas pas t’y mettre toi aussi, ce n’est pas Facebook qui l’a faite disparaitre. Et puis qui crois-tu que la vie d’une petite prof de lycée pourrait intéresser ?
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Paul, peut-être, étant donné le nombre de commentaires qu’il écrit sur ton mur.
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Mais c’est que mon homme serait jaloux ? Tu sais bien qu’il n’y a que toi et rien que toi, je suis la plus heureuse au monde ! Ça aussi je le dis sur Facebook !
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Bon tu m’accompagnes ? Je n’ai pas envie d’arriver en retard non plus !
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Je vais chez le coiffeur, je passe prendre ma robe et … Ric la coupa.
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Tu seras magnifique ! Tu es magnifique! Notre dixième anniversaire et je t’aime comme au premier jour. A ce soir 17 heures ici.
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Je t’aime aussi ! A ce soir. »
Ces dernières paroles résonnent encore dans sa tête. Où était-elle ? Comment était-elle arrivée dans cette maison ?
Il fallait qu’elle sorte de là, c’était la seule chose qui importait, elle serait avec l’homme de sa vie et tous ses amis ce soir pour la petite fête organisée en leur honneur.
C’était sûrement une mauvaise plaisanterie de Nina, c’est tout à fait son genre… Espéra Lily.
« Nina tu es là ? Réponds, ce n’est vraiment pas drôle, en plus je dois encore aller chercher Richard… Allez, ouvre, s’il te plait. Nina ! »
Lily n’eut pour seule réponse qu’un silence pesant. Maintenant, elle avait peur, elle sentait que ce n’était pas une plaisanterie. Elle frissonnait. Sur le mur contre lequel le lit était adossé, il y avait du papier déchiré, elle ne voyait pas grand-chose.
Tout dans sa tête se bousculait, il ne reviendrait pas en arrière, il avait tout planifié. Depuis sa première rencontre lors de son vernissage, Lily était devenue son obsession, sa drogue.
Il l’observait devant ses toiles, elle semblait fascinée. Sans un mot, leurs regards s’étaient croisés, elle lui a souri !
Il fallait qu’il en sache plus sur elle, elle avait noté un mot dans le livre d’or, il l’avait vue.
Le soir même, il n’eut pas à chercher longtemps : Lily Lamarre tenait un site perso pour faire découvrir sa ville, avec un lien direct sur sa page Facebook.
Elle était exactement comme il l’espérait : intelligente, drôle, un brin fantasque… Et cette beauté simple qui s’ignore. Toute sa vie défilait sous ses yeux. Le réveil sonna, il n’avait pas dormi, pourtant il n’était pas fatigué. Il se fit un café et cliqua sur « ajouter ».
Lily n’avait pas mis longtemps à répondre à la demande d’amitié. Livrant sa vie, ses envies et ses rêves à cet homme qu’elle ne connaissait pas. Elle l’avait trouvé séduisant, mais ses yeux si clairs , presque transparents, la mettaient mal à l’aise.
Chaque jour, il attendait ses quelques phrases qui le rapprochaient un peu plus d’elle.
Il la rencontrait par hasard, dans le parc, à la bibliothèque. Ils se croisaient, elle le frôlait, jusqu’à ce jour où elle l’aborda
« Bonjour Killian. Elle lui tendit la main. On se croise souvent et je ne savais pas comment vous dire, enfin… J’aime beaucoup ce que vous faites.
Il avait envie de lui dire que c’était elle sa plus belle œuvre ; il avait envie de la serrer dans ses bras, de l’embrasser aussi sensuellement que dans cette magnifique œuvre de Klimt.
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Oui, j’ai lu votre article sur le vernissage, il m’a beaucoup touché. Il n’avait pas lâché sa main. Si vous voulez j’ai d’autres toiles chez moi, vous pourriez les voir et me dire ce que vous en pensez.
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Oh oui, avec plaisir, mon mari a aimé lui aussi. Elle venait de retirer sa main, elle lui échappait. On se recontacte sur Facebook et on fixera une date.
Killian sentait qu’il ne la laissait pas indifférente. Elle était mariée, mais ce bonheur qu’elle affichait sur Facebook n’était qu’une parade. Richard était froid, aucune place au rêve, c’était un matérialiste, exact opposé de Lily.
Lily a un certain succès, elle est populaire, c’est le genre de personne que l’on remarque. Paul l’avait remarquée lui aussi, mais il était loin d’être aussi fin que Killian, on voyait ses intentions à cent lieues à la ronde.
Ce jour-là, elle devait aller chez le coiffeur, puis il lui avait donné rendez-vous dans son atelier, juste à côté de la boutique qui vend ces robes corsetées magnifiques ; c’est là qu’elle avait craqué pour cette robe baroque légère.
Elle sonna une fois, puis deux. La porte était entre ouverte. Elle entra. Killian n’était pas là. Elle avança pour mieux contempler les toiles. En les regardant de plus près, elle eut comme un frisson, elle était représentée sur presque toutes les toiles les plus récentes. Elle sortait en courant quand quelqu’un l’appela :
« Lily, ça va ? Je suis content de te rencontrer comme ça en dehors du lycée.
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Paul ! Pensa-t-elle soulagée, quelle surprise ! Ecoute, je suis désolée, mais je suis assez pressée.
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Tu es allée voir les toiles de Killian ? Tu sais ma femme devait lui consacrer un article.
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Ta femme le connait ? Elle lui a déjà parlé ? Je… J’ai vu quelque chose de troublant.
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Tu n’as pas l’air bien, tu ne veux pas venir boire un café et te calmer ? Il faut que je te parle. C’est important ! C’est au sujet de ma femme et de ce Killian !
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Oui, je dois juste aller chercher mon portable dans la voiture, j’ai un coup de fil à passer. Attends-moi au Calice, j’arrive.
Sa voiture était garée à quelques rues. Lily ouvrit sa portière quand tout à coup, elle se sentit faiblir. Elle tomba à genoux et perdit connaissance.
Aucun souvenir, elle avait beau essayer de se rappeler, elle ne savait pas comment elle s’était retrouvée là.
Comment a-t-elle pu faire confiance à cet homme qu’elle connaissait à peine. ?
« Depuis combien de temps, suis-je ici ? Dès que je sors de là, je supprime ma page Facebook, et tout ce qui me concerne, pensa-t-elle ! Je vais le tuer, ce cinglé. » Pensa-t-elle à haute voix.
Non elle ne pleurerait pas, ça n’est pas son genre. Il faisait sombre, un filet de lumière filtrait sous la porte, A tâtons, elle chercha un interrupteur. Une faible ampoule s’alluma. Elle observa la pièce dans laquelle elle se trouvait : un matelas pourri, une table et une chaise… Son œil fut attiré par des reflets brillants sur le mur du fond. Le papier déchiré était en fait composé de photos, des photos d’elle sur tout un mur, et des copies de ses statuts facebook. Elle frémit, « bon sang, il est encore plus dingue que je ne l’imaginais » pensa-t-elle.
Elle regarda attentivement chacune des photos pour comprendre ce qu’il lui voulait, depuis quand il la suivait. Son visage se crispa : sur l’une des photos, elle apparaissait aux cotés de Killian, ça ne pouvait donc pas être lui. ..
Elle eut un mouvement de recul. « Réfléchis, réfléchis ». Avec tous ces gens qui la demandaient en amie, ça pouvait être n’importe qui …
Un bruit derrière la porte. Elle s’était préparée, elle lutterait de toutes ses forces.
La porte s’ouvrit, elle se précipita sur lui, il la projeta contre le sol.
Sonnée, elle se releva et son visage s’illumina.
« Richard, tu m’as trouvée !! Elle lui sauta au cou. Il ne la serra pas.
-
Ma chérie, comme tu es belle.
Richard semblait ailleurs.
-
Sortons de là avant que le timbré ne revienne. J’ai eu si peur.
-
Je suis là maintenant. Tu t’en rends compte.
-
Ric de quoi tu parles. Tu t’es battu ? Tu as du sang sur le visage ! Est-ce que tu l’as… Sa phrase resta en suspens.
-
Tué ! Oui, Killian est mort, tu n’as plus rien à craindre.
-
Killian ? Mais je pensais… Enfin il n’a pas pris ces photos, regarde, on le voit là avec moi, il a sûrement un….
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Pourquoi tu nous as fait ça ? dit-il en lui lançant sa robe.
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Tu me fais peur, arrête maintenant ! S’il te plait… Sortons, je veux rentrer à la maison.
Au moment où elle se dirigeait vers la porte, Il la retint d’une main et hurla :
-
Mets là !
Lily ne comprenait pas !
-
Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, Ric. Appelons la police et… »
Richard la gifla et lui ordonna de s’habiller.
Il ne laissait transparaître aucun sentiment. Lily mit la robe comme un automate. Elle doutait de tout.
« Tu sais, il ne faut jamais faire confiance aux inconnus qu’on rencontre sur les sites. Ta copine Cali, ou devrais-je dire Céline, était trop confiante elle aussi !
-
Cali ? Mais de quoi parles-tu ?
-
Allons, tu ne vas pas me dire que tu ne savais pas qui elle était ! Paul, son mari, semble s’intéresser fortement à toi pourtant…
-
Quoi ? Cali était la femme de Paul ? Non, je n’en savais rien. Mais je me fiche de Paul ! Qu’est-il arrivé à Cali ? Tu n’as pas, tu ne …
-
Son mari, ce malade, qui la trompait avec toutes les trainées du coin. Et toi, toi la jolie Lily si inaccessible, toi, ce n’est pas pour un minable dans son genre qu’il fallait que tu craques ! Non ! C’était pour un gars aussi givré que toi, un artiste !
-
Mais tu délires ! Richard, je t’aime, il n’y a que toi, personne d’autre, Killian et moi ne sommes même pas amis, je voulais juste voir ses toiles, il a un…
-
Tais-toi ! »
Richard ne voulait plus l’entendre, il se fichait de savoir ce qu’elle avait fait ou pas.
« Je t’avais promis un voyage, tu te souviens ?
Lily ne comprenait pas, la peur la paralysait. Cet homme qu’elle aimait était devenu un étranger.
– Réponds !! lui ordonna-t-il
-
Oui, je me souviens, un voyage sur l’eau pour notre dixième anniversaire. Tu avais dit que ce voyage ressemblerait au tableau de Chagall que j’aime tant « Ulysse et les sirènes » au coucher du soleil.
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Exactement. Dit-il en la prenant dans ses bras. Il s’était radouci. Viens, j’ai une surprise pour toi. »
Lily ne bougeait pas, elle était pétrifiée. C’était un cauchemar et elle allait se réveiller. Mais quand il ouvrit la porte, le doute n’était plus permis, la folie s’était emparée de l’homme qu’elle aimait. Ce qu’elle avait pris pour une chambre sordide était en fait une petite cabane de pêcheurs aménagée, au bord d’un lac. Sur l’eau verdâtre, une barque. Elle ne voulait pas croire ce qu’elle voyait, il ne pouvait pas avoir fait cela.
Le timing était parfait. Richard avait tout prévu, même le coupable : Paul, obsédé par Lily, avait d’abord fait disparaître Cali, puis, la jalousie faisant son œuvre et Lily lui échappant pour un bellâtre, il l’avait fait disparaître lui aussi.
Le soleil allait se coucher. Les deux amants étaient réunis. Lily hurla en se précipitant vers la petite embarcation.
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Killian … son cri fut étouffé, Richard lui pressait la main sur sa bouche.
Elle voulait se débattre, mais il était trop fort. Elle perdit l’équilibre et l’eau était froide, si froide… Il la lâcha. Lily voulut fuir, mais il attrapa sa cheville et se plaqua sur elle. Il se mit à lui serrer le cou de plus en plus fort. Elle le regarda dans les yeux. Elle essayait de dire quelque chose.
Il relâcha son étreinte, pour l’écouter une dernière fois.
« Je t’aime » souffla-t-elle, avant de s’éteindre complètement.