Les élèves de troisième du collège de Masnières et deux classes du collège Lamartine de Cambrai étaient réunis dans la cantine pour écouter le témoignage de Lili Leignel, venue parler de la déportation.
Pendant près de deux heures, cette petite dame de 84 ans, debout, nous a raconté la guerre à travers les yeux de l’enfant qu’elle était à l’époque. Elle avait 11 ans, son frère Robert 9ans 1/2 et le plus petit, André, 3 an 1/2. Durant tout son témoignage, les élèves ont été très émus et extrêmement attentifs.
L’arrestation :
« Nous vivions à Roubaix près de l’Église Saint Antoine, avec papa et maman. Au moment de la guerre, les juifs avaient obligation de se signaler et de porter l’étoile jaune pour être repérés. Le curé avait peur pour nous, il nous a caché, mes frères et moi, dans sa famille. Vous imaginez les risques qu’il a pris pour nous ! Il y avait des gens généreux. Nous étions bien, mais les parents nous manquaient et puis, de retour à la maison, maman pensait qu’il n’y avait plus de risque et pourtant, quelques jours plus tard, le 27 octobre 1943 , l’enfer va commencer. Cette date restera marquée, c’était aussi l’anniversaire de maman, on avait préparé des cadeaux, des poèmes. Mais on a été réveillés en sursaut à 3 heures du matin par la Feldgendarmerie. On ne comprenait pas ce qui se passait. Mon petit frère a emmené un petit canard en bois sur roulettes, il était prêt. »
Lili ne saura jamais si leur famille a été dénoncée, mais elle sait que la peur était plus forte que tout. « Au rez-de-chaussée de l’immeuble il y avait un couple de personnes âgées. C’était comme des grands-parents qui jouaient avec eux, ils étaient si gentils, mais cette nuit là, ils ont crié « partez partez » en détournant le regard, explique Mme Leignel. Ils savaient que si nous partions les SS partiraient aussi. Leur peur a été plus forte que leur amour pour nous ! »
La famille est alors emmenée à la prison de Loos, puis à celle de Saint-Gilles près de Bruxelles. « Nous ne comprenions pas. Pourquoi est-on en prison, nous n’avons rien fait ? Puis nous sommes acheminés vers Malines, l’équivalent de notre camp de Drancy en France, on y fait la connaissance de Stella, une petite fille belge de 5 ans. »
L’humiliation et la déshumanisation commencent :
A Malines il y a les « pferdkopf », très cruels, dont Lili évitait le regard. Ils étaient à cheval sur l’ordre et la propreté. Il y a eu un grand contrôle. Les hommes et les garçons de plus de 15 ans ainsi que les femmes et les enfants on été répartis aux deux extrémités d’une pièce énorme : « On devait se mettre nus, nous étions mal à l’aise, jamais nous n’avions vu maman nue, c’était une véritable humiliation. Chacun notre tour, nous devions avancer dans une petite guérite. Là, un jeune nazi nous examinait, on devait écarter les jambes. Jamais nous n’avions subi un tel avilissement ! »
Les enfants sont séparés de leur papa qu’ils ne reverront plus et envoyés avec leur mère à Ravensbrück, entassés à plus de cent dans des wagons à bestiaux : « C’était écrit contenance huit chevaux. On restait 3 ou 4 jours sans manger. Le seau pour les besoins était au centre, autre humiliation : faire ses besoins devant tout le monde ».
Arrivée à Ravensbrück, Lili devient le numéro matricule 25 612. Elle doit l’apprendre par cœur en allemand pour répondre à l’appel. « Nous n’avions plus d’identité ». Dans le bloc 31, elle côtoie Martha Desrumaux, grande résistante communiste, mais aussi Geneviève de Gaulle : « Que l’on soit riche ou pauvre, nous sommes tous réduits à la même enseigne ».
Une journée au camp dans le bloc 31
« La sirène retentissait à 3h30 du matin, il fallait aller se laver dans le Wäsche room qui était une pièce énorme. Il y avait un bloc de béton d’où sortaient des tuyaux d’où s’échappaient de minces filet d’eau froide. Nous n’avons pas connu l’eau chaude dans les camps. Il n’y avait pas assez de point d’eau pour tout le monde, il y avait des bousculades, alors maman nous levait à 3h pour qu’on soit les premiers à faire notre toilette. Elle nous disait : « on nous a tout pris, nous n’avons plus rien même plus de nom, cependant, il ne faut pas baisser la tête, soyons digne , pour être digne, il faut avoir l’air convenable, vouloir à tout prix faire sa toilette dans un camp de concentration c’est déjà un acte de résistance ». Ensuite on nous distribuait un jus infâme, un ersatz de café, mais c’était chaud, et un quignon de pain. Puis il y avait l’appel. Tout le monde se précipitait à l’appel qui pouvait durer des heures. Certaines étaient tombées malades durant la nuit, ou morte. Les SS passaient dans les rangs, le chiffre n’était jamais le même que la veille et tant qu’ils ne retrouvaient pas l’explication à ce manque d’effectif, on devait rester debout. Si on avait l’audace de vouloir se reposer sur une jambe et donc de la faire sortir du rang, les soldats nous envoyaient leurs chiens. Des femmes se tapotaient les joues pour leur redonner un peu de couleur, pour ne pas qu’on les emmène. Celles qui étaient emmenées, on ne les voyait jamais revenir…
A l’issu de l’appel, le SS sélectionnait certaines femmes pour l’arbeit qui signifie « travail ». C’étaient des travaux d’hommes. Maman était réquisitionnée pour l’arbeit : la réfection des routes, creuser des fosses, vider les fosses d’aisance. Maman souffrait beaucoup physiquement, mais aussi moralement, car les nazis retiraient parfois des enfants et les faisaient disparaître, elle avait peur de ne plus nous revoir.
Pour Lili et ses frères, trop chétifs pour travailler, les longues journées se passent au pied du bloc, avec la peur au ventre. Les hivers rigoureux et par – 20°c nous n’avions que nos pauvres robes pour nous protéger, c’était très dur. Les SS et leurs chiens nous faisaient peur. Pour nous distraire, nous tuions nos poux qui donnaient de grave maladie, comme la diarrhée, ce qui explique l’odeur pestilentielle qui régnait en permanence
Quand on souffrait, on allait au revier (le dispensaire). Nous y sommes tous passés. Là-bas nous étions dispensé d’appel, c’était bien mais nous n’avions pas maman.
Nous avons tellement souffert de la faim et du froid. »
Le comble de l’horreur
« Le voyage vers Bergen-Belsen était atroce, on ne pouvait s’allonger, aucun bébé n’a survécu, de toute façon aucun bébé ne survivait aux camps. Les femmes accouchaient et aussitôt les nazis emmenaient les bébés et les noyaient. Ils poussaient le vice jusqu’à chronométrer le temps que ces petits êtres mettaient à mourir ! »
Elle raconte ensuite son arrivée au terrible camp de Bergen-Belsen, pire encore que le camp précédent. Les vivants côtoient les malades et les morts. Une odeur insupportable se dégage. Les cadavres sont brûlés et on compte trois sortes de typhus dont celle qui touche sa maman. « A ce moment là, la mort nous semblait être la meilleure issue. Maman était au revier…»
La libération
Le 15 avril 1945, la porte s’ouvre. « On gisait inconscients et les soldats anglais étaient bouleversés». De la nourriture est distribuée mais « cela nous a sauvés de ne pas pouvoir en manger ». Il faut réapprendre à manger, ceux qui ont gloutonné sont morts. « Enfin nous pouvions partir, mais le voyage s’est fait dans des wagons à bestiaux encore une fois, c’était dur. A Bruxelles, il y avait de la musique, les gens étaient heureux, nous aussi, mais maman nous manquait. »
Les trois enfants sont enfin rapatriés en France à Paris, logés au Lutétia, un hôtel de luxe. Ensuite, ils sont hébergés par un chirurgien avant que Lili ne se souvienne de l’existence de son oncle et de sa tante qui sont alors venus les rechercher. Direction les Deux-Sèvres puis un préventorium à Hendaye où viendra les rejoindre « Maman, elle ne pesait plus que 27 kg ». Leur papa, emmené à Buchenwald, a été fusillé deux jours avant la libération du camp.
Plus jamais ça
« On a réappris à vivre, les voisins nous ont aidés. Les allemands nous avaient tout pris, même la tapisserie, ils l’avaient déchirée ! »
André, son plus jeune frère, a rédigé une thèse sur les camps de la mort. Lili, c’est la montée du négationnisme qui l’a décidée à témoigner au début des années 80. En 2015, elle a témoigné devant 10300 élèves.
« J’ai confiance en la jeunesse, la guerre est une chose épouvantable, il faut avoir le courage de ne pas laisser dire n’importe quoi, je compte sur vous ! Il faut combattre le racisme, l’antisémitisme et la Xénophobie. A Bergen-Belsen, j’ai rencontré une jeune fille formidable, vous la connaissez, elle était allemande, c’était Anne Franck et sa sœur. Anne était brillante, elle aurait été un grand écrivain, une journaliste. Mais elle est morte, juste parce qu’elle était juive. J‘ai rencontré Simone Veil également. Il faut lutter pour nos différences car elles font notre richesse.»
Plusieurs élèves ont posé des questions auxquelles Lili Leignel a répondu avec beaucoup de simplicité avant de nous chanter les comptines qu’elle avait appris dans son bloc, une comptine en russe, une en polonais, une en néerlandais, une en allemand et la dernière en français, « on souffre« , sur l’air de « On chante » de Charles Trénet. Toute la salle était impressionnée.
Et Stella ? A la libération du camp, la petite fille a été adoptée et emmenée en Russie. Elle ne parle plus le français, elle vit à Saint-Petersbourg. Elle a retrouvé son papa, mais il fallait un interprète pour qu’ils se parlent. « Elle est venue en France, témoigner avec moi, elle souhaite revenir. »
Avant de partir, Lili Leignel a remercié les enfants qui lui donnent la force de continuer à témoigner et leur a demandé de lui écrire.